L’espace inclusif vu par l’asbl Garance
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L’asbl Garance a été créée en 2000. L’activité principale de l’association est l’organisation de stages de défense verbale et d’autodéfense pour femmes. En lien avec ses missions fondamentales, depuis 2010, Garance travaille aussi sur la question de l’accessibilité de l’espace public aux filles et aux femmes.
Laura Chaumont travaille au sein de l’équipe de Garance et a participé à la réalisation de nombreuses enquêtes et publications centrées sur l’espace public (voir références en fin d’article). Le 23 septembre dernier, lors de la 71ème journée de travail organisée par l’Association Régionale des Directeurs et Ingénieurs Communaux (ARDIC), elle présentait un exposé dédié à l’espace public inclusif. Elle répond aujourd’hui à nos questions.
Pouvez-vous nous expliquer ce que Garance considère comme un espace inclusif ?
Ce serait un espace où tous et toutes peuvent aller et venir, selon leurs envies ou leurs besoins, à tous moments sans aucun obstacle qui soit mental, psychologique, symbolique, physique ou pratique. En disant cela, je sais que ce n’est pas possible d’appliquer cette définition à l’ensemble de tous les espaces. Mais actuellement, aucun endroit n’est entièrement accessible. On devrait donc envisager de créer des endroits inclusifs. Et pour les lieux qui ne peuvent pas être adaptés, prévoir une communication claire et proposer des alternatives.
Pour analyser les espaces urbains, vous avez choisi la marche exploratoire de femmes comme méthodologie, permettant de focaliser l’ensemble de votre approche sur le ressenti et le vécu des usagères. Comment se mettent-elles en place ? Quelles sont leurs atouts ?
La marche exploratoire est un outil qui existe au Québec depuis les années 80. Nous appliquons cette méthode depuis 12 années. En collaboration avec les associations actives sur le territoire ciblé, nous composons des groupes mixtes, représentant l’ensemble des femmes, c’est-à-dire toutes les personnes qui se reconnaissent dans cette appellation, d’âges différents, de nationalités différentes, et nécessitant des besoins d’accessibilité différents (personnes en situation de handicap, cyclistes, etc). Les groupes sont composés de femmes habituées à fréquenter le territoire. La marche est assez courte, maximum deux kilomètres car nous réalisons beaucoup d’arrêts durant lesquels nous questionnons les participantes sur leurs sensations et sur les éventuels aménagements dont elles auraient besoin. Ces questionnements sont suivis d’échanges entre les participantes. Les marches exploratoires permettent deux actions différentes : un levier pour les décisions politiques et un impact personnel pour les participantes.
Avez-vous des exemples de marches exploratoires ayant entrainé des changements urbanistiques ?
Dans le cadre du projet « cœur de ville » à Namur, qui concerne le quartier des casernes, les résultats de notre enquête ont été retranscrits dans le marché public visant le réaménagement de la zone. Garance a rencontré l’un des bureaux d’architecture ayant remporté le marché. Et nos recommandations ont été prises en compte. Ce premier pas a été possible grâce à l’investissement de deux échevins et grâce au financement complet porté par Garance. C’est un bon premier pas mais il y a donc encore du chemin à parcourir. Pour donner un exemple des avancées et pratiques inspirantes dans les pays voisins, à Paris, inclure la dimension du genre est devenue une condition obligatoire lorsque qu’un bureau d’architecture propose un projet dans le cadre d’un marché public.
Vous parlez d’un impact personnel pour les participantes, lequel est-il ?
Marcher dans la ville en groupe, s’arrêter et être invitée à s’exprimer sur ses rapports aux espaces permet aux femmes de se questionner et d’analyser leurs ressentis, participe à leurs réappropriations de l’espace public et engage des partages et des échanges sur les perceptions personnelles de chacune.
Pour éviter le sentiment d’insécurité, voici quelques-unes des recommandations générales qui émergent de vos rapports. Laquelle vous semble la plus importante ?
- Savoir où l’on est et où l’on va : l’importance pour les piétons de savoir exactement où ils se situent. Des panneaux d’informations doivent être clairs et lisibles (plans de quartier, plaques des noms des rues plus grands, panneaux de temps d’attente des transports en commun…)
- La transparence et la visibilité des lieux : l’idée est de toujours percevoir vers où mènent les escaliers, les passages et les éventuels tunnels empruntés par les usagers en vue qu’ils puissent identifier vers où ils se dirigent et anticiper à quoi ils vont être confrontés. Il s’agit d’éviter les constructions et mobiliers urbains qui font « barrière », de rendre les escaliers, les rampes et les parkings les plus transparents possibles, en privilégiant les balustrades plutôt que les murs en béton.
- Un éclairage public adapté : Il faut éviter les zones d’ombre car les espaces et trottoirs mal alimentés en lumière sont sources d’anxiété. Le placement de l’éclairage, sa hauteur, sa fréquence font partie des nombreux critères mis en avant dans les rapports.
- Le niveau sonore adapté : Il est rassurant de pouvoir entendre et être entendue à tout moment. Veiller au bruit de la circulation dans les lieux publics, le placement de musique, etc.
- Obtenir de l’aide facilement : Les femmes se sentent aussi plus à l’aise dans l’espace public quand elles savent où obtenir de l’aide rapidement.
- La propreté joue également un rôle dans le sentiment d’insécurité. De même que la présence de toilettes publiques.
- La présence d’un public varié dans l’espace public et le sentiment d’appartenance à un quartier/un lieu participent au sentiment de sécurité.
L’ensemble des recommandations que nous nommons sont importantes pour que les femmes habitent et évoluent en sécurité dans l’espace public. Si je dois sélectionner un aménagement prioritaire, ce serait la présence de toilettes publiques propres et gratuites. C’est une condition nécessaire pour que les femmes se sentent bien et s’installent longuement dans un endroit.
La mixité dans l’espace public dépend aussi de plusieurs autres facteurs, qui doivent s’envisager dans différentes sphères : l’éducation (notamment par une réflexion sur les stéréotypes de genre), la réparation des charges au sein de la famille etc.
Les recommandations portées par Garance rejoignent les revendications de l’accessibilité. Elles viennent nous conforter dans l’idée que les efforts d’aménagements menés pour un groupe de personnes amènent toujours des optimisations pour l’ensemble des groupes de la société.
Voici quelques liens utiles si vous souhaitez consulter les travaux réalisés par Garance.
- Une première brochure « Espace public, genre et sentiment d’insécurité » reprenant une série de recommandations générales pour l’aménagement des villes a été éditée en 2012.
- En 2017, l’association a publié une analyse genrée de l’espace public namurois , ainsi qu’une déclinaison de rapports pour améliorer l’accès des femmes aux espaces verts bruxellois.
- Plus récemment, en 2020, l’association publie, sur base d’une mission menée dans le quartier des marolles, une feuille de route dédiée à l’intégration du genre dans le dispositif des contrats de quartier.